1.[JEHAN PUCELLE] – LIVRE D’HEURES A L’USAGE DE ROME.MANUSCRIT EN LATIN ET EN FRANÇAIS, PARIS, VERS 1325.

EXCEPTIONNEL MANUSCRIT ENLUMINE ET EXECUTE DANS L’ENTOURAGE DE JEHAN PUCELLE POUR UN MEMBRE DE L’ENTOURAGE ROYAL ET DECORE :

6 GRANDES MINIATURES,

48 LETTRINES A FOND DECORE DE FEUILLES.

42 LETTRINES A PORTRAIT OU PERSONNAGE.

1220 LETTRINES GRANDES ET PETITES.

82 REPRESENTATIONS D’ANIMAUX FANTASTIQUES.

58 PERSONNAGES FANTASTIQUES A CORPS DE BETES ET SCENES GROTESQUES.

            Fort volume in-12 (120 x 80 mm (62 x 43 mm) de 222 feuillets, dont 1 blanc, 13 longues lignes sur parchemin, encre métallo-gallique (rares parties de parchemin rongées par l’encre), réglures à l’encre brune, réclames, tissu rouge sur ais de bois, dos muet, tranches dorées (reliure du XIX°).

DESCRIPTION MATERIELLE

In-12 de [221 ff. et 1 f. bl. reliés dans le désordre] ; 120 × 80 mm (62 × 43 mm) ; 13 longues lignes sur parchemin ; encre métallo-gallique (rares parties de parchemin rongées par l’encre) ; réglures à l’encre brune ; réclames ; rubriques d’attentes ; foliotation postérieure au crayon réalisée après la reliure actuelle ; textualis libraria, main homogène ; feuillet reconstruit (f.21) ;

Décoration : une miniature pleine page avec l’Annonce aux bergers (f.1), initiales historiées de sainte Catherine (f.2), saint Paul (f.5r), saint Jean-Baptiste (f. 85r), saint Jean évangéliste (f. 102), sainte Geneviève (f. 119) ; encadrements champies dorés à la feuille et ornés de feuilles de vignes, houx et chêne avec des drôleries anthropomorphiques et zoomorphes (drôleries pucéliennes en grisaille : f. 2r, 13v, 18v, 34v, 52v, 62r, 73v(?), 74r, 84r, 85r, 94v, 102r, 105r(?), 119r, 121r, 141v, 149v, 153v, 159r, 161v(?), 170r, 179v(?), 180v(?), 183r, 186r, 195v(?), 196v, 205r, 213r, 219r ; oiseaux : f. 140v, 141r, 148r-149r) ; encadrement en bandes d’i filigranées au f. 140 ; initiales historiées (f. 24v, 76v, 77v, 78r, 79r, 79v) ; initiales champies dorées ornées de têtes d’hommes, feuilles de vignes, signes héraldiques (fleurs de lys, lion et aigle) et filigranes ; bout de lignes zoomorphes et à motifs répétés.

ICONOGRAPHIE

Ce manuscrit est très probablement le résultat d’une production collective d’artistes de l’entourage de Jean Pucelle. On distingue une première main pour les miniatures, une seconde pour les drôleries marginales et une dernière pour les décors secondaires. La mise en page est similaire aux Heures de Jeanne de Savoie (Paris, MJAP, Ms 1312) mais les miniatures sont exécutées dans le style du Bréviaire de Blanche de France (Rome, BAV, Urb. Lat. 603). Ce parallèle permet de dater le manuscrit vers 1325.

Les très nombreuses drôleries en grisaille ponctuant notre manuscrit adoptent un langage résolument pucélien. Les personnages se distinguent particulièrement par la vivacité de leur expression, des positions parfois incongrues et l’humour des scènes. Les hybrides au buste humain habillé d’étoffes fluides et avec des jambes animales sont souvent occupés avec un instrument de musique ou une arme. Ces figures sont très courantes dans les Heures de Jeanne de Savoie.

On trouve également des profils grotesques barbus présents également dans les initiales historiées et quelques bouts-de-ligne des Heures de Jeanne d’Evreux. Le caractère sophistiqué du corps du garde au verso du f. 34 attire particulièrement l’œil. L’ocre du modelé est relevé par des touches de blanc accentuant le réalisme du trait. Le traitement tridimensionnel dont Pucelle était familier est particulièrement visible ici. On rencontre ce travail du nu dans les miniatures des Heures de Jeanne d’Évreux comme avec les gémeaux du calendrier (f. 6r) ou dans la grâce flexible du Christ de la Flagellation (f. 53v). On peut noter aussi le supplice d’Isaïe de la Bible de Billyng (BnF, Mss, Latin 11935, f. 356v) et le saint Laurent dans le Bréviaire de Jeanne d’Évreux (Chantilly, ms. 51, f. 306v). Une telle attention aux détails des corps se retrouve rarement chez les autres artistes de la période. Ce qui nous mène à penser que cette main serait probablement celle de Jean Pucelle lui-même. 
            Jean Pucelle passe pour le meilleur enlumineur de son époque. À peu près tous les manuscrits français du second tiers du XIVe siècle accusent son influence et la bibliographie à son sujet est intarissable. Son nom est identifié dès 1868 par Léopold Delisle dans le colophon de la Bible de Robert de Billyng (Paris, Bibliothèque nationale de France, Latin 11935) daté d’avril 1327, puis dans le Bréviaire de Belleville (Paris, Bibliothèque nationale de France, Latin 10483 et 10484).             Les mentions de legs par Jeanne d’Évreux au roi Charles V d’un « bien petit livret d’oroisons que le roy Charles, dont Diex ait l’âme avoit faict faire por Madame, que pucelle enlumina » et la présence de ce manuscrit dans les inventaires du duc de Berry vont renforcer les pistes d’identification du travail de l’enlumineur. Mais c’est la mise au jour d’un singulier manuscrit dénommé les Heures de Jeanne d’Évreux (New York, Cloisters, Acc. 54.1.2) qui consacre définitivement cet artiste et détermine sa position centrale dans l’art médiéval français (Nathalie Roman, 2021, p.8). Son travail est souvent en collaboration avec d’autres artistes comme Mahiet, Ancelet, Jean Le Noir, le Maître de la vie de saint Denis et le maître de Papeleu (Richard de Verdun), etc. Il n’est donc pas surprenant de trouver un autre artiste pour les miniatures.

Le style de l’artiste des miniatures est caractérisé par des compositions simples sans encadrement architecturé avec des personnages aux drapés alliant des plis élégamment posés avec des jeux de dégradés pour suggérer les volumes des corps. La mise en couleur des étoffes est réalisée avec de l’ocre et des tons pastel de rose et gris relevés de vert et ocre. On peut noter également la ligne simple des yeux, la fluidité des corps et la vitalité des postures, notamment les pieds souvent nus et à l’extérieur du cadre. Malgré la ressemblance de style avec le Bréviaire de Blanche de France, rien ne permet d’affirmer que nos miniatures ont été réalisées par une des mains du volume.      
L’atelier dont la production est proche de celle de nos miniatures est celui du Maître de la vie de saint Denis. Cet atelier est connu pour une compilation en l’honneur des saints martyrs Denis, Rustique et Eleuthère réalisée à la fin du règne de Philippe le Bel et offerte par l’abbé de Saint-Denis, au roi Philippe le Long en 1317.

Trois volumes sont aujourd’hui conservés la BnF sous les cotes Fr 2090 à 2092. Ces miniatures ont été réalisées par plusieurs artistes de formation homogène dont l’art annonce déjà celui de Jean Pucelle. Notre manuscrit pourrait avoir été enluminé par un artiste issu de cet atelier car on retrouve la même technique pour la réalisation des anges, le modelé et les traits du visage, les drapés et certaines positions des personnages. Cependant la fluidité et la légèreté de notre artiste nous permet de dire qu’il s’était déjà éloigné du style statuesque de cet atelier et se dirigeait déjà vers le style des miniatures des Heures de Jeanne de Savoie réalisée vers 1325 par Jean Pucelle et le Maître du Cérémonial de Gand. La main est moins expérimentée chez nous, notamment la mise en couleurs, mais la douceur des personnages, l’animation de la scène des bergers et les techniques énoncées précédemment nous font penser que notre artiste était déjà influencé par le style de Jean Pucelle. Nous sommes peut-être en présence d’un artiste intermédiaire entre le groupe du Maître de la Vie de Saint-Denis et le groupe de Jean Pucelle.

Les décors secondaires quant à eux, ont pu être réalisés par un artiste proche d’Anciau de Sens, connu pour être responsable des encadrements peints de la Bible de Billyng et du Bréviaire de Belleville (BnF, Mss, Latin 10483-10484) (Rouse, II, p. 14), deux manuscrits enluminés également par Jean Pucelle.

Miniature pleine page :

– f. 1v : Annonce aux bergers. La miniature n’est pas homogène. L’ange et le berger du côté droit paraissent avoir été restaurés postérieurement par une main malhabile. Le phylactère est même gratté partiellement. Peut-être est-ce des usures dues à des marques de dévotion. L’artiste propose ici une composition classique avec des anges accompagnés de phylactères annonçant la bonne nouvelle aux bergers dans les champs. Les traits du visage du berger de profil semblent plus raffinés que ceux des initiales historiées. Mais l’analyse des drapés et postures laisse penser que les initiales sont bien de la même main.           

Grandes initiales historiées :

– f. 2r : Sainte-Catherine        
– f. 5r : Saint Paul avec son livre et son épée : Visage restauré

– f. 85r : Saint Jean-Baptiste.
– f. 102 : Saint Jean évangéliste : Feuillet restauré.
– f. 119 : Sainte Geneviève avec le cierge : Même main ? Figure de l’estropié à béquilles en marge supérieure semblable à celle dans le Bréviaire de Belleville vol. II, f. 218v et au f. 112v des Heures de Jeanne de Savoie.

Initiales historiées sur trois lignes : f. 24, 76v, 77v, 78r, 79r, 79v : figures de saints évangélistes.

TEXTE

Ce manuscrit contient des offices longs de la Croix/Passion et du Saint-Esprit avec des variantes inconnues. On attribue habituellement ces deux textes à Jean XXII (1314-1335), mais il est également probable que ce pape ait juste officialisé une pratique de dévotion privée (E. Drigsdahl, CHD).

Le manuscrit a été relié dans le courant du XIXe siècle sans respecter l’ordre initial des feuillets. Les Heures sont en conséquence dans le désordre. Il y a aussi plusieurs manques, souvent là où sont attendues les miniatures ou les initiales historiées.

COLLATION TEXTUELLE :

  • f. 1-72v : Heures de la Vierge à l’usage de Rome : (f. 4, 49, 10-20) Matines : manques au début et la fin ; (f. 25, 26-34, 35-36, 68-70r) Laudes : manques au début, après le f. 25, 34 ; (f. 2-3, 6, 9, 71-72) Prime : manques au début, après le f. 9 et à la fin ; (f. 1, 5, 7-8, 41-42) Tierce : fin manquante ; (f. 45-48) Sexte : Manques au début et à la fin ; (f. 48, 50-53) None : manques au début ; (f. 21, 54-55, 58-63) Vêpres : manques au début, ; (f. 66-67, 37-40) Complies : manque au début. Le tableau de la collation textuelle complète est disponible sur demande.
  • f. 24, 73-84v, 21 : Heures de la Vierge avec recommandations fériales en français rubriquées.  Rubr. : « Memoire de tous sains », « Dou primier jour apres les octaves de noel iusques a la purification… », « …devant lavent », « de la purification iusques a la pentecouste… », etc. Cette partie est également incomplète.

–   f. 85-93, 119-139 : Heures de la passion ou de la Croix (f. 93v : réclame : « As laudes de la croix ») : version primitive incomplète et mal reliée. (f. 85) : Matines : Invitatoire « Christum passum et irrisum flagellatum crucifixum venite adoremus ». Cette variante de l’invitatoire est inconnue des ressources bibliographiques. On trouve plus communément la variante « captum et irrisum » qui introduit les Heures de la Passion comme dans le Ms. 0.3.10 conservé au Trinity College de Cambridge (voir Wordsworth, Christopher, Horae Eboracenses, the prymer of Hours of the Blessed Virgin Mary […], Durham, Andrews, 1920, p.164-180).         
(f. 119) : Prime, hymne : « Tu qui velatus ».

  • f. 94-118 : Office du Saint-Esprit : version primitive incomplète. (f. 95v) Hymne « Veni creator spiritus », antienne « Veni sancte spiritus ».
  • f. 140-205v : Office des morts : Incomplet du début, commence au milieu du psaume 114 introduisant les Vêpres « Custodiens parvulos Dominus : humiliatus sum, et liberavit me ». Office à l’usage de Rome : liste des respons des leçons des nocturnes des Matines : 14, 72, 24, 46, 32, 57, 68, 28, 38. Il y a un manque entre le psaume 62 dans les Laudes et la première oraison (f. 187).
  • f. 206-218v : Psaumes pénitentiels : Début manquant, commence au milieu du psaume 37 : « non est pax meis a facie peccatorum meorum ».
  • f. 218v-221v : Litanies : Incomplet de la fin, il manque les pétitions.

PROVENANCE :

Malgré toutes ses lacunes, il s’agit indubitablement d’un manuscrit de tout premier ordre. La richesse des miniatures, la variété des encadrements et la diversité des heures présentes suggèrent une commande prestigieuse.

Aucune mention textuelle ne permet d’identifier le destinataire du manuscrit. On relève cependant la présence de discrètes marques héraldiques dans les initiales. À la place des visages et filigranes, les initiales portent d’azur à une ou quatre fleurs de lys (aux f. 73, 148v et 205v), de gueules au lion d’or (f. 46v, 94r et 215r) et de gueules à l’aigle d’or (f. 111v, 126r, 142r). Les premières armes suggèrent la France sans équivoque, les secondes pourraient correspondre aux anciennes armes anglaises utilisées au XIIe siècle et l’aigle d’or sur champ de gueule a été identifié par François Avril en 2007 comme étant les anciennes armes du comté de Bourgogne.    
L’usage de ces motifs héraldique pourrait suggérer une provenance comme dans le Bréviaire de Blanche de France.

            Si l’on suit la piste héraldique, la seule personne susceptible de porter les armes françaises et anglaises à cette époque est Isabelle de France, fille de Philippe Le Bel et épouse d’Edouard II, roi d’Angleterre. Les informations biographiques sur Isabelle de France permettent aussi de soutenir cette hypothèse. En mars 1325, Isabelle et son fils Edouard III partent pour la France afin qu’Edouard III prête allégeance au Roi de France au nom de son père pour son titre de duc d’Aquitaine.

Isabelle, en froid avec son époux au point de craindre pour sa vie, décide alors de rester à la cour de France auprès de son frère. Elle y restera jusqu’en septembre 1326 avant de partir conquérir l’Angleterre et de déposer son mari. Peut-on imaginer une commande auprès de Pucelle lors de ce séjour ? Le style du manuscrit pourrait corroborer cette hypothèse, car on retrouve la simplicité du trait du Bréviaire de Jeanne de France et la composition iconographique des Heures de Jeanne de Savoie, tous deux exécutés durant la même période. 

Bien que cette hypothèse soit séduisante, on ne peut rien affirmer avec certitude. On aurait pu relever la présence du patronyme à la fin des litanies « sancta Elysabeth » qui clôture la courte liste des saintes, mais ces litanies sont presque à l’identique dans le Bréviaire de Blanche de France au f. 91r (Rome, BAV, Urb. Lat. 603) et le Bréviaire de Jeanne d’Évreux au f. 96v (Chantilly, Musée Condé, Ms 51). Ce bréviaire, attribué à Pucelle, possède d’ailleurs le même système d’initiales héraldiques et une décoration secondaire très semblable (initiales, antennes et bouts-de-ligne).

La piste semble très probablement royale et française, mais l’identification exacte reste encore en suspens.

BIBLIOGRAPHIE :
– Les fastes du gothique, Le siècle de Charles V, Paris, Réunion des musées nationaux, 1981, n° 235.

– Richard H. Rouse, Mary A. Rouse, Manuscripts and their makers: commercial book producers in medieval Paris 1200-1500, London, 2000.      
– Kyunghee Pyun (éd.), Anna D. Russakoff (éd.), Jean Pucelle: innovation and collaboration in manuscript painting, London, Turnhout, Harvey Miller, 2013. 
– Roman, Nathalie. « Collaborations artistiques et leadership : le cas du Bréviaire de Blanche de France (Rome, Biblioteca Apostolica Vaticana, ms Urb. lat. 603) », Convivium, 4, n° 2, 2017, p. 132-155.        
– Roman, Nathalie. « Nouvelle proposition pour Jean Pucelle : un artiste abouti dès 1318 », Revue de l’art, vol. 212, no. 2, 2021, pp. 8-17.

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VENTE DU 3 OCTOBRE 2004